Barcelone : joyau architectural
La notoriété de Barcelone tient pour beaucoup à son architecture si spécifique. Les monuments créés par Gaudí, reconnaissables au premier coup d’œil, attirent chaque année des millions de visiteurs.
Par Clément Airault- © Shutterstock - 2013 Matthew Dixon

La Catalogne possède une riche histoire architecturale, et la basilique Santa María del Mar, construite entre 1329 et 1383 et située dans le quartier de la Ribera, est un parfait exemple du style gothique catalan. Avant de devenir une ville moderne et aérée, Barcelone a longtemps été une cité fortifiée, coincée entre mer et murailles, sans possibilité d’extension et sujette à la prolifération des épidémies. Son mur d’enceinte n’a été abattu qu’en 1854. Construire au-delà des fortifications était devenu inéluctable.
Un plan génial
Un an avant de faire tomber les murailles de la ville, la mairie cherchait à déterminer un plan d’aménagement pour l’extension urbaine à venir. Ce fut Ildefons Cerdà qui remporta l’appel d’offres. Il n’était pas architecte mais ingénieur, et avait été chargé en 1855 par le Ministre de l’Aménagement du territoire espagnol de conduire le nouveau plan topographique de Barcelone.
Son projet visait « à rendre la cité plus propre et plus agréable à vivre », explique l’architecte Guim Costa Calsamiglia, doyen du Collège des architectes de Catalogne. Ildefons Cerdà imagine « une ville connectée aux cités alentours, en mettant en place un plan en grille » — il se caractérise par un quadrillage systématique des lieux, avec des avenues et des rues parallèles coupées par trois axes symboliques permettant de relier les quartiers avec le reste de la ville et l’extérieur. Il imagine des pâtés de maisons en forme d’octogones, blocs appelés manzanas, aujourd’hui devenus une référence urbanistique dans le monde. Chaque carrefour, dénommé xamfrà, a pour but de devenir une place vivante et commerçante, sur laquelle les riverains puissent se retrouver.
Le projet est extrêmement novateur. Par exemple, l’ingénieur a accordé une grande importance à la lumière du soleil. Les angles des manzanas coïncident avec les points cardinaux de façon à ce que tous les côtés bénéficient de la lumière naturelle au fil de la journée. Par ailleurs, Ildefons Cerdà a anticipé les problèmes de circulation urbaine avant même que l’automobile ait été inventée, prévoyant de rendre souterraines les lignes de chemin de fer. Toutefois, ce plan ne faisait pas l’unanimité ; il fut imposé par le Gouvernement d’Isabelle II, laquelle posa en 1860 la première pierre du quartier de l’Eixample («extension », en catalan), sur l’actuelle place de Catalogne.
Barcelone connaîtra de profondes modifications, quelques années plus tard, sous le mandat du maire Francesc de Paula Rius i Taulet. Ce dernier est à l’origine de la tenue de l’Exposition universelle à Barcelone en 1888. Elle a été l’occasion de grandes avancées urbaines, dans le cadre du Plan Cerdà, et notamment de la fusion de Barcelone avec les villages alentours de Gràcia, Horta, Les Corts et Sarrià. Ont alors également été construits le parc de la Ciutadella, le Castell dels Tres Dragons (Château des trois dragons) et le Mercat del Born (marché du Born). Ce dernier, récemment transformé en musée, était la plus grande place couverte d’Europe, et il a marqué le début du modernisme dans l’architecture catalane.
L’impact du modernisme catalan
« Le modernisme a beaucoup marqué la cité », assure Guim Costa Calsamiglia. Ce courant coïncide avec la période où de riches industriels barcelonais choisissent de quitter la vieille ville pour s’installer dans les nouveaux quartiers, et décident d’investir dans les immeubles de rapport. Soucieuses de «montrer leur richesse et d’embellir la ville », des personnalités comme Antoni Amatller, Eusebi Güell ou les membres de la famille Llorach permettent, de la fin du XIXe au début du XXe siècle, aux architectes modernistes catalans de rivaliser de créativité. Il suffit de déambuler sur Passeig de Gràcia, Carrer d’Ausiàs Marc ou Avinguda Diagonal pour observer leur impact sur le paysage. Il existe alors un réel dynamisme en Catalogne. Les architectes « observent ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées, le regard tourné vers l’Europe, et ils comprennent très vite l’essence de ce mouvement », précise Guim Costa.
Ce que les Catalans appellent « modernisme » s’apparente au mouvement artistique que l’on nomme «Art nouveau » en France. On y retrouve l’influence de la nature, et une propension à utiliser des courbes, tourbillons et spirales. Ces formes semblent donner vie à la pierre et au métal, comme on peut l’observer sur les façades de la Casa Battló et de la Casa Milá, réalisées par Antoni Gaudí, grand nom du modernisme catalan et concepteur de la Sagrada Família. L’architecte Lluis Domènech i Montaner achève durant cette période deux chefs-d’œuvre du modernisme catalan : le Palais de la musique catalane et l’hôpital de Sant Pau, tous deux inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco. D’autres architectes prestigieux marquent cette période de leur empreinte, tels Josep Puig i Cadafalch, à qui l’on doit la Casa Amatller et la Casa de les Punxes. C’est l’âge d’or de l’architecture catalane. La guerre civile espagnole, puis la dictature du général Franco, jusqu’en 1975, mettent un coup d’arrêt à cette créativité.
Penser l’avenir
Au début du XXe siècle, la Catalogne compte 2,5 millions d’habitants ; 40 ans plus tard, la population a doublé. La région s’est fortement industrialisée, et la main-d’œuvre afflue du reste du pays. Il faut loger ces nouveaux arrivants. Durant les années 1960 et 1970, la spéculation immobilière et les constructions de mauvaise qualité sont courantes. Cependant ces bâtiments, que les Catalans nomment polígonos, ne sont pas tous dénués d’intérêt architectural, à l’image de celui de Montbau.
Barcelone abrite aujourd’hui 1,6 million d’habitants (3,5 millions avec la métropole). Elle reste une ville agréable à vivre, aérée. Que sera-t-elle dans l’avenir ? Les grandes fortunes ayant permis aux modernistes comme Gaudí de réaliser leurs rêves les plus fous ne sont plus là. Mais s’ils peinent à trouver des projets novateurs et rémunérateurs, les architectes catalans de talent ne manquent pas. Barcelone continue d’innover, en gardant à l’esprit son passé architectural. Le Plan Cerdà est toujours appliqué, comme en témoigne la création du Forum, en 2000. Le nouveau quartier 22@ va permettre de rénover en intégralité le quartier de Poblenou, surnommé le « Manchester catalan », qui a été le moteur de la révolution industrielle. Les temps changent, car 22@ ambitionne de devenir une plaque tournante pour les entreprises technologiques innovantes.