North Dome : une place primordiale dans l’enjeu gazier
Le plus grand gisement de gaz naturel du monde, situé dans le golfe Persique, est réparti entre l’Iran et le Qatar. Pourtant, l’inégale exploitation du North Dome entre ces deux pays entraîne tensions et convoitises… Bilan sur cet immense champ gazier qui impacte la géopolitique de l’énergie.
Par Lola Zani © AFP - ATTA KENARE

Depuis les années 1970, l’intérêt pour le gaz est croissant. Son commerce a explosé, passant de 3 à 331 milliards de mètres cubes. Les réserves mondiales se répartissent principalement en deux zones, la Russie et le Moyen-Orient, qui disposent de 56 % des ressources de gaz. Le déclin de l’offre des pays de l’OCDE producteurs de gaz a favorisé un déplacement territorial des exploitations. Les nouvelles, éloignées des zones de forte consommation, ont amené à une augmentation des échanges transfrontaliers de gaz, et les volumes exportés depuis le Moyen-Orient devraient tripler d’ici 2030. Dans un Moyen-Orient où les ressources énergétiques sont importantes, le Qatar et l’Iran ont fait le choix du gaz. La découverte d’une poche gigantesque dans le golfe Persique en 1971 à largement influencé leur choix…
Qatar et Iran, les propriétaires opposés
Le Qatar a commencé les forages de puits en 1988, puis est passé en phase de production à partir de 1996. La capacité d’extraction a progressivement augmenté au fil des années, nécessitant la création de coûteuses installations. Le pays abrite la 3e réserve mondiale de gaz naturel, après la Russie et l’Iran. Si cette position lui donne une place avantageuse dans le jeu énergétique international, la stratégie qatarienne réside dans sa visibilité en termes d’exportations de GNL. En effet, depuis 2005, Doha dispose d’énormes capacités de production de GNL (77 millions de tonnes par an). En 2008, le secteur du gaz a dépassé celui du pétrole dans la part du PIB, un record historique. Le pays a conquis de grosses parts de marché, ce qui n’est pas toujours bien perçu par les autres exportateurs.
A contrario, l’Iran, même s’il possède le même supergisement, n’a pas été en mesure de concrétiser des projets d’exportations gazières. Téhéran n’a pas pu exploiter ses ressources de gaz à la même cadence que Doha à cause des sanctions américaines et européennes. Il a dû reporter certains projets. Ainsi, en 2011, il avait conclu un accord avec la Syrie et l’Irak pour la construction d’un gazoduc. L’embargo économico-financier a laissé le projet au point mort. Quelques années plus tôt, en 2006, la communauté internationale avait déjà pris des décisions à l’encontre de l’Iran après la découverte de son programme nucléaire. Le retard pris par l’Iran a amorcé son rapport conflictuel avec le Qatar. Celui-ci, avec un nombre de puits plus conséquent, a commencé à puiser dans les réserves iraniennes. Cependant, Téhéran a tout de même été récemment au cœur de l’actualité énergétique. Le 16 janvier 2016, un accord a permis de lever des principales sanctions internationales. Cette décision fait suite à la signature de l’Iran d’un accord relatif à son dossier nucléaire. Cette avancée dans le processus de paix et de sécurité rééquilibre le rapport de force et laisse entrevoir pour le pays la possibilité d’occuper une place plus favorable dans le domaine de l’énergie. Il a annoncé en janvier vouloir augmenter sa production de pétrole de 500 000 barils par jour.
Une guerre de l’énergie ?
Le conflit syrien est aussi le théâtre de rivalités entre Iran et Qatar. Car derrière se cachent bien évidemment les ressources en gaz et en pétrole. L’arrière-plan de cet affrontement est énergétique. La Syrie se trouve effectivement au cœur des intérêts des deux États, car elle constitue une puissance régionale. Elle est située sur les routes des futures exportations gazières du Qatar et des autres États producteurs du golfe, comme l’Iran et l’Irak. C’est pourquoi en 2009, l’émir du Qatar a fait une proposition à Bachar el-Assad concernant la construction d’un gazoduc censé relier les deux pays en passant par l’Arabie saoudite et la Jordanie, dans le but d’acheminer le gaz du gisement du North Dome. Cependant Damas a refusé, privilégiant un projet de signature avec l’Iran, un de ses alliés dans ce conflit de l’énergie.
Les enjeux liés au gaz sont omniprésents. Du niveau régional, avec le conflit syrien, à la volonté de pénétrer le marché européen, il n’y a qu’un pas. Lorsqu’il s’agit du marché européen, les rivalités sont nombreuses. En 2007 par exemple, le Qatar affichait clairement sa volonté de construire un gazoduc. L’idée était que celui-ci passe par l’Arabie saoudite pour rejoindre la Turquie – le stratagème qatarien étant de s’accaparer l’exportation de gaz vers Europe via les Balkans. La Syrie a refusé, et l’on peut aisément imaginer l’influence de la Russie sur cette décision. Damas ne tient effectivement pas à compromettre ses relations avec Moscou, qui est son premier fournisseur d’armes. La Russie, qui dispose d’une base maritime à Tartous, sur la côte syrienne, reste vigilante quant aux ambitions qatariennes et iraniennes concernant le gaz naturel en Europe. Ainsi, même si les affrontements ne sont pas directs, il n’en demeure pas moins que la notion de « guerre » peut être associée aux tactiques envisagées, aux alliances qui existent entre les pays. Le Qatar et l’Iran partagent un atout commun : le North Dome ; mais ils ne le destinent pas aux mêmes buts.