Startups : L’Hexagone, nouvel eldorado
La France va-t-elle confirmer son statut de « nation des startups », comme le martèle Emmanuel Macron ? L’ouverture de Station F, le « plus grand campus de startups du monde », et le lancement d’une série de mesures gouvernementales sont censés faire de l’Hexagone la terre promise des startuppers.
Par Clément Airault © AFP - BERTRAND GUAY

Le paysage numérique en France a bien changé depuis le début des années 2000. Il s’est fortement diversifié grâce au « Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », initié en 2012, suivi du plan «Une nouvelle donne pour l’innovation», présenté en novembre 2013. Ce dernier avait pour objectif de mettre en place les meilleures conditions possibles pour la création et le développement de startups en France. « On a eu dix ans de politique de droite, supposée être proentreprises, mais combien de champions technologiques ont émergé en France ? Zéro. Dans le même temps, aux États-Unis, une vingtaine de champions mondiaux se sont créés », déclarait dans une interview Fleur Pellerin, alors Ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique.
L’ambition française était claire : devenir le lieu de naissance (et de croissance) des futurs champions technologiques mondiaux, à l’image des GAFA ou GAFAM, acronyme de ces géants du web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Ces quatre dernières années, l’Hexagone a multiplié les mesures pour devenir l’une des grandes nations mondiales de l’économie de l’innovation, dans la ligne directe d’Israël et bien évidemment des États-Unis.
Depuis son lancement en 2014, le label French Tech a fortement contribué au développement et à la visibilité des entreprises innovantes françaises dans le monde. Il est l’un des multiples maillons ayant permis l’essor d’un écosystème de startups.
Dans le pays, près de 2 000 sociétés se créent chaque mois dans le numérique. Toutes ne sont pas des startups ; sur le papier, une startup est une entreprise qui débute, est en phase de développement mais n’a pas encore fait ses preuves sur le marché commercial. Elle est surtout une entreprise à fort potentiel, en mesure d’attirer des capitaux, et donc de croître à grande vitesse, selon le principe de «scalabilité» (capacité à s’adapter à une forte augmentation de son activité, en jargon « startupien »). Et comme dans toute entreprise, l’argent est le nerf de la guerre : sans financement, l’échec est assuré.
Investissements en hausse
Comment financer sa startup ? Du prêt familial ou amical (love money) au financement participatif, une multitude de solutions s’offrent aux créateurs de startups. L’omniprésence des fonds publics est une spécificité française. « Les deux tiers de l’innovation en France sont financés directement ou indirectement par les deniers publics, notamment via Bpifrance qui suit maintenant tout le cycle de vie des startups », explique Olivier Ezratty dans son Guide des startups 2017.
En 2016, la Banque publique d’investissement (BPI), contributeur majeur au financement des startups depuis sa création en 2012, en a aidé 3 600, soit presque deux fois plus qu’en 2013. Les bourses French Tech (2014), les prêts d’amorçage (2005) ou les crédits d’impôts constituent autant de moyens mis à disposition par l’État. Ce financement public est-il un handicap français qu’il convient de corriger ?
Emmanuel Macron ne semble pas le croire, lui qui assurait récemment que « la BPI a fait et continuera à faire énormément pour cet écosystème de croissance ». En visite le 15 juin au 2e salon Viva Tech, qui accueillait des entreprises innovantes du numérique, le Président de la République a annoncé la création d’un fonds de 10 milliards d’euros destiné à l’innovation et aux entreprises du numérique. Et c’est la BPI qui sera chargée de sa gestion.
Le financement public croît, de même que les fonds étrangers qui misent de plus en plus sur les startups françaises. Selon le journal Les Échos, au 3e trimestre 2016 les capitaux investis dans la French Tech se montaient à 857 millions de dollars. La France réussit à mobiliser désormais presque autant de capitaux que le Royaume-Uni (919 millions), et devance largement l’Allemagne (462 millions). À court terme, alors que le Brexit s’est enclenché, elle pourrait monter sur la première marche du podium.
« Aujourd’hui, la France est en train de devenir la nation des startups, et elle doit réussir ce pari », s’est enthousiasmé Emmanuel Macron lors du salon Viva Tech. Fervent promoteur de la French Tech, il est sans doute – du fait de son jeune âge ? – le plus « numérique » des présidents que la France a connu. Son discours fut l’occasion d’exposer sa feuiller de route. Publicis et Les Échos, qui ont organisé ce salon, rêvent d’en faire la version européenne du Consumer Electric Show (CES), le grand rendez-vous mondial de l’innovation de Las Vegas. Il en est cependant encore loin.
Ambitions
Le Président veut donner une nouvelle impulsion aux entreprises innovantes, afin de faire de la France la « nation des startups » d’ici 2022. Il a annoncé le 15 juin vouloir « tout mettre en œuvre pour le développement et le dynamisme des startups en France, notamment à travers les réformes du travail et de l’ISF ». Sa méthode consiste à baisser l’impôt sur les sociétés, réduire les charges salariales et patronales, simplifier les dispositifs d’incitation à l’innovation, ou encore supprimer le Régime social des indépendants (RSI), qui constitue un fardeau pour beaucoup d’entrepreneurs débutants.
Emmanuel Macron souhaite d’autre part instaurer un « droit à l’erreur » pour les entrepreneurs. Ces derniers pourraient plaider la « bonne foi » en cas de non-respect d’une obligation règlementaire ou sociale. « Le premier geste de l’administration ne doit plus être de contrôler pour sanctionner, mais de faciliter et d’accompagner », a-t-il déclaré. Voulant « lever les contraintes » (que d’autres pourraient considérer comme des filets de sécurité pour les salariés), il espère que ses mesures vont « redonner des libertés de faire, de tenter, parfois d’échouer ».
La manière même d’entreprendre en France connaît aujourd’hui de profondes mutations. Le Global Entrepreneurship Monitor estime que 17 % des Français sont prêts à se lancer dans l’entrepreneuriat dans les trois ans à venir. Avec la facilité de devenir microentrepreneur, nombreux sont ceux qui se jettent à l’eau ; nombreux également sont ceux qui échouent… Tous ne créent pas non plus des entreprises innovantes ou des startups à proprement parler.
Parmi les priorités, il convient aujourd’hui selon Emmanuel Macron de « décloisonner entre la recherche publique et l’entrepreneuriat », « entre les startups et les grands groupes ». Les structures d’accompagnement doivent y contribuer.
Station F : une vitrine
Le nombre de structures d’accompagnement des startups, tels les incubateurs et les accélérateurs, a crû de manière exponentielle ces dernières années. « À croire parfois qu’ils sont plus nombreux que les entrepreneurs », ironise Olivier Ezratty. L’attraction (et la conservation) des talents est une priorité, qu’ils soient Français de l’Hexagone, expatriés ou étrangers. « C’est ici désormais que les choses vont se passer », s’enthousiasmait Emmanuel Macron. Au vu de la dynamique actuelle, on serait tenté de le croire. L’inauguration de Station F le 29 juin dernier par le Président de la République en est le meilleur exemple.
La vitrine du high-tech français, qui revendique l’appellation de « plus grand campus de startups du monde », est installée dans l’ancienne halle Freyssinet, une gare de triage de marchandises construite dans les années 1920. Le site est époustouflant. Un millier de startups vont travailler dans l’immense nef de plus de 300 m de long entièrement réhabilitée. Station F fonctionne à la manière d’un campus américain. Côté « Share », le site compte 3 000 postes de travail, des espaces évènementiels, des salles de réunion, un bureau de poste ; côté « Chill », on trouve un restaurant, des espaces de détente, ainsi que 30 douches (« à usage individuel uniquement », précise le site internet de Station F, qui cultive volontiers l’esprit fun véhiculé par le milieu). Les startuppers peuvent presque vivre sur le campus, ouvert 24 heures sur 24. Pour ceux qui souhaiteraient se reposer, une centaine d’appartements partagés vont prochainement voir le jour dans une annexe située de l’autre côté du périphérique. « L’ambition, à Station F, c’est vraiment de rendre l’entrepreneuriat plus accessible et de mettre tout un écosystème en place, pour que les startups ne passent pas leur temps à aller chercher des ressources à droite et à gauche », expliquait début juin à l’AFP Roxanne Varza, directrice de Station F.
Ce projet, porté depuis sa création en 2008 par Xavier Niel, le patron de Free, doit contribuer à l’essor d’un écosystème d’entreprises innovantes en France. Après sélection, 200 startups vont être hébergées sur place. Les autres seront choisies par les partenaires de Station F dans des domaines qui les intéressent spécifiquement. Ainsi, Facebook devrait choisir des sociétés spécialisées dans les données informatiques, Microsoft l’intelligence artificielle, Naver le multimédia, Thales la cybersécurité, et l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) la santé. À ce propos, la France compte nombre de startups spécialisées dans le biomédical, à l’image de Gecko Biomedical, Iconem ou Cardiologs.
Sur l’ensemble de ces sociétés nées en France, combien réussissent à s’y épanouir ? Entre levées de fonds à l’étranger et reventes, elles sont confrontées à de multiples problématiques. Avec ses mesures, Emmanuel Macron ambitionne d’inverser la tendance, à savoir attirer les sociétés étrangères dans l’Hexagone. L’idée du prolongement du French Tech Visa, confirmé le 15 juin, a été lancée à la fin du quinquennat de François Hollande ; il permet de simplifier les procédures d’obtention de visa et de permis de travail pour tous les étrangers travaillant dans le secteur du numérique, qu’ils soient investisseurs ou employés de startups.
Le gouvernement en est certain : la France ne peut et ne doit pas passer à côté de la manne que représente le numérique. L’écosystème startup pèse chaque jour un peu plus dans l’économie nationale. Cela s’observe spécifiquement à Paris (cf. encadré), où selon l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), société qui étudie et analyse les évolutions urbaines et sociétales,) l’économie de l’innovation occupait en 2016 la 3e place après la finance et le tourisme. Selon Olivier Ezratty, ces cinq dernières années « on est passé de moins de 800 millions d’euros à 2 milliards d’euros d’investis dans les startups ».
L’heure n’est encore qu’aux investissements. Quelles seront les retombées, en termes de finance et d’emploi, résultant de la naissance de structures telles que Station F ou de labels comme la French Tech ? Leur efficacité est difficilement mesurable à court terme. « Il faut en effet attendre au moins trois à cinq ans pour s’en faire une idée concrète – quand les données sont disponibles, ce qui est rarement le cas ! », considère Olivier Ezratty.
Le bilan se fera sans nul doute en 2022, à la veille de l’élection présidentielle. Il sera alors aisé de savoir si la France est devenue une nation des startups, et si ces dernières ont contribué à créer richesse et emploi, tel que l’imagine Emmanuel Macron.