Gastronomie française : ces jeunes chefs qui réussissent à l’étranger
Ils sont jeunes, cuisiniers ou pâtissiers de talent, et ils ont très tôt fait le choix de quitter la France. Si tous ne réussissent pas, les chefs sont les meilleurs ambassadeurs de l’art culinaire français dans le monde.
Par Clément Airault © Shutterstock - Kzenon

Manger fait partie intégrante de la culture française. Pour preuve, en 2010, l’Unesco décidait de classer le « repas gastronomique des Français » patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce symbole du pays, par ailleurs indéniable atout touristique, a une influence sur la gastronomie mondiale. La France a acquis une réputation grâce à la complexité et la finesse de ses mets, et sa gastronomie constitue un pan essentiel de son rayonnement à l’étranger, autant qu’un enjeu économique. Le pays exporte des centaines de spécialités, de la moutarde aux macarons, en passant par le foie gras et le fromage, sans oublier bien évidemment le vin. Les talents français eux aussi s’exportent… avec leur savoir-faire.
Des modèles
Au début des années 1970, quelques grands noms de la cuisine française, parmi lesquels Pierre et Jean Troisgros, Michel Guérard, Alain Senderens, Gaston Lenôtre ou Paul Haeberlin, ont commencé à voyager aux États-Unis, au Japon, afin de promouvoir la gastronomie française. « Non seulement ces jeunes chefs bousculent les traditions dans leur pays mais, en plus, ils portent la bonne parole dans le monde entier », précisait Alain Ducasse, lors d’une conférence en octobre 2013. Alain Ducasse ou Joël Robuchon : les grands noms de la cuisine française sont devenus de véritables marques déposées. Ces chefs, pour la plupart étoilés, ont créé de véritables empires, notamment à l’étranger. À l’image du médiatique Thierry Marx, dont Challenges estimait l’an dernier le chiffre d’affaires à 60 millions d’euros, ou du précurseur Michel Guérard, au chiffre d’affaires évalué à 126 millions d’euros, ces cuisiniers devenus hommes d’affaires sont des modèles pour la nouvelle génération qui aspire, en gravissant les échelons, à atteindre les sommets. Si un jeune cuisinier peut espérer percevoir 2 000 euros brut par mois, un chef 3 étoiles peut lui gagner jusqu’à 15 000 euros. Le métier ne connaît pas la crise et recrute, en France comme dans le reste du monde.
Aujourd’hui, il est rare de voir un chef cuisinier ou pâtissier reconnu sur le territoire qui n’appose pas son nom sur un restaurant haut de gamme, à Dubaï, ou Tokyo, la capitale qui recense le plus grand nombre de restaurants étoilés au monde. Pas un restaurant haut de gamme, pas un hôtel de luxe qui n’ait son cuisinier ou son pâtissier français, qu’il soit chef ou simple commis.
Plan de carrière
Pour de nombreux jeunes cuisiniers français, leur carrière se construit avant tout à des milliers de kilomètres de Paris. Pour conquérir le monde, ils disposent d’une excellente formation technique : le réseau d’écoles de cuisine et de formation hôtelière propose un enseignement de haut niveau qui contribue au rayonnement de la gastronomie française. Il n’est pas forcément nécessaire de sortir de l’institut Paul Bocuse ou de l’école Ferrandi (une institution fondée en 1920 et reconnue dans le monde entier) pour décrocher un job. Avec un CAP ou un BEP en poche, on peut, pour peu qu’on maîtrise une langue étrangère, espérer trouver un emploi dans un restaurant ou un hôtel à l’international. Et parfois, le french accent, comme le précise Khoris Othmane (cf. encadré), fait office de sésame.
La réussite et la notoriété de certains chefs à l’étranger fait des émules. Chaque année, des centaines de jeunes pâtissiers et cuisiniers quittent la France pour faire leurs armes à l’international, avec un rêve : se faire un nom. Pour beaucoup, ce départ est une première expérience temporaire avant de revenir s’installer définitivement dans l’Hexagone. Pour d’autres, l’expatriation devient un mode de vie. Certains chefs, à l’image de Daniel Boulud à New York, Paul Pairet à Shanghai ou Dominique Crenn à San Francisco, sont devenus des stars de la gastronomie dans leur pays d’adoption sans avoir connu la célébrité dans leur pays d’origine. Ils ont choisi de faire carrière hors de leur terre natale.
Junior Nadje voit dans les pays étrangers une « dynamique […] différente de la France ». La qualité de vie, ou un salaire plus intéressant constituent également des avantages régulièrement cités par ceux qui ont goûté à l’expatriation. Une carrière à l’étranger constituerait de plus un tremplin et permettrait de gravir les échelons beaucoup plus rapidement qu’en restant en France, à en croire plusieurs cuisiniers français interviewés.
D’un point de vue gastronomique, tout en servant d’ambassadeurs, ces chefs, baignés dans l’art culinaire français, s’adaptent aux produits locaux, et réinventent une gastronomie mondialisée. Pour réussir, il faut innover. Certains s’imaginent, parce qu’ils sont français, qu’il leur sera simple de percer à l’étranger. Or si l’art culinaire hexagonal a bonne presse, nombre de restaurants français mettent la clé sous la porte. Ils ne réussissent pas à s’adapter aux goûts de la clientèle locale tout en conservant leur french touch (n’est pas Daniel Boulud qui veut !). En clair, ils ne sont pas à la hauteur des attentes des clients en matière de gastronomie française.
Être français, formé en France, crée de bonnes opportunités, mais représente une pression supplémentaire. « Le modèle de la haute cuisine gastronomique n’est ni en recul ni en crise. Mais ce segment de niche sur lequel s’est développée la restauration française approche ou atteint le seuil de la saturation dans les pays où elle est déjà largement implantée : Amérique du Nord, Europe, Japon », pouvait-on lire dans une enquête publiée en 2003 sur le site LSA. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que les talents français sont largement concurrencés par des chefs étrangers imaginatifs et aux grandes capacités techniques.
Par ailleurs, si l’étranger exerce une attraction sur les jeunes chefs français, la France et sa gastronomie attirent de nombreux jeunes chefs étrangers. Le meilleur exemple est sans nul doute Kei Kobayashi. Ce virtuose de 42 ans est devenu en 2020 le premier Japonais à décrocher les 3 étoiles Michelin dans l’Hexagone. Avec sa chevelure blonde, il est la coqueluche des médias. Le Restaurant Kei, ouvert il y a 9 ans rue Coq-Héron, près du Louvre, est aujourd’hui une référence dans la capitale.
Dans le domaine ultra concurrentiel de la haute cuisine, la médiatisation est nécessaire. La venue de chefs étoilés de renom sur des programmes télévisés tels que « Top Chef » en témoigne. Et pour les jeunes, y participer et gagner peut être un tremplin. Depuis le lancement de l’émission sur la chaîne M6, 16 candidats ont obtenu une ou plusieurs étoiles Michelin.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux, vecteurs d’influence, sont primordiaux. Pour les jeunes, nourris aux comptes Instagram des chefs stars et aux concours TV, la réussite passe par la médiatisation et la mise en valeur de leurs créations. En ce sens, la photographie culinaire a le vent en poupe. Cela ne veut pas pour autant dire que l’image prime sur le goût, car c’est dans l’assiette que se forgent les renommées des chefs… en France comme à l’étranger.