Entretien avec Yoni Saada : le plus méditerranéen des chefs français
Yoni Saada est un chef français reconnu pour sa cuisine aux influences méditerranéennes, qu’il diffuse avec amour dans ses trois restaurants, à Paris et Tel-Aviv. Celui qui s’est fait connaître du grand public en 2013 avec « Top Chef » revient devant la caméra pour un programme plus personnel et plus spontané, sur les routes de Tunisie et d’Israël.
Propos recueillis par Clément Airault © DR

L’Essentiel des relations internationales : Pourquoi avoir voulu participer au programme de découverte culinaire « Delicious Food » ?
Yoni Saada : C’est une manière, avec ces émissions, de montrer mon ADN. Je suis un enfant de la Méditerranée. J’ai beaucoup baroudé autour de la « grande bleue » et je continue de le faire chaque année. J’essaie de comprendre d’où vient l’essence de la Méditerranée, cette convivialité, cet esprit de partage.
J’ai voulu l’exprimer au départ avec un livre, qui s’appelle La Grande Bleue, et ensuite le mettre en image avec les équipes de la chaîne « My Cuisine », et mon producteur Simon Amri. C’est ainsi qu’est né le programme « Delicious Food ». Nous voulions montrer l’âme des Méditerranéens. Et très souvent cela se passe autour d’une table, d’un plat. On a commencé avec la Tunisie et on a ensuite fait Israël.
Quelle est la place de la cuisine dans la culture méditerranéenne ?
Je pense que c’est un point central de notre culture. Nous faisons partie de ces gens qui parlent de nourriture et de ce qu’ils pourraient manger alors qu’ils sont déjà en train de manger. Il existe dans les pays méditerranéens un rapport très sensuel à la nourriture. On « vit » la nourriture. Nous avons un rapport moins brut avec cela que certains pays.
Qu’ont en partage Israël et la Tunisie ? Retrouve-t-on des marqueurs communs aux différentes cuisines méditerranéennes?
En Tunisie, j’ai ressenti dans l’art culinaire une vraie âme, marquée par une cuisine tunisienne, italienne. J’ai découvert un « locavorisme » incroyable ― c’est-à-dire que les gens mangent ce qu’ils ont autour d’eux. Je suis allé cueillir la fleur du bigaradier à 100 m du lieu où Rafika distillait son eau de fleur d’oranger. C’est identique avec la harissa, ou la production d’agneau, ou encore la semoule de couscous. En Israël, cet ancrage gastronomique local est beaucoup moins marqué. Au contraire, j’y ai trouvé un mix de tous les pays de la Méditerranée qui permettait la création d’une cuisine qu’on ne peut retrouver qu’ici. Les mélanges culinaires sont incroyablement riches en Israël, et apportent la preuve qu’on peut vivre tous ensemble. La gastronomie le démontre. Même à Jérusalem, où les communautés vivent séparément et où on peut ressentir une certaine tension, la cuisine ramène à une humanité naturelle qui crée des moments magiques.
Les rencontres occupent une place majeure dans le programme ; est-ce un point important pour vous?
Le voyage, c’est une inspiration, un choc de cultures, mais aussi et avant tout une rencontre. Je pense que la cuisine est universelle, car elle procure de l’émotion et du plaisir. Je l’ai toujours vécu comme ça, et c’est ce qui a déclenché ma passion. J’ai commencé la cuisine sur le tard, à 19 ans, et j’y ai découvert ce rapport à l’humain et à l’échange qui est pour moi très important. J’ai décidé depuis deux ans de choisir ce que j’allais montrer en images. J’ai une personnalité forte ; je veux transmettre ce qui me semble aussi bien beau que bon, dans tous les sens des termes.
Pensez-vous qu’en Méditerranée, on trouve de meilleurs produits que dans nos sociétés industrialisées?
Je pense que oui. Rencontrer les gens et tout l’amour, le respect et la patience qu’ils apportent à leurs produits est incroyable. Le produit est à la base de tout. Je pense qu’en Méditerranée, tout au moins dans les endroits que j’ai visités, le produit a une importance fondamentale. Je ne dis pas que dans les autres pays ce n’est pas le cas ― on trouve de bons produits partout ―, mais ce que je sais c’est qu’en Méditerranée on aime bien se nourrir. Je revendique l’utilisation de beaux produits, où la main de l’homme et son travail se ressentent.
Quelles sont vos origines ? Avez-vous retrouvé en Tunisie des saveurs d’enfance ?
Je suis d’origine tunisienne par mon père, avec des ascendances italiennes, et du côté de ma mère les origines sont marocaines et algériennes. Mes amis ont l’habitude de plaisanter en me disant que je suis une grande chakchouka à moi tout seul !
Beaucoup de plats méditerranéens me rappellent mon enfance, comme les pâtes à la sauce de ma grand-mère, la boîte de thon ouverte juste posée sur la table, les pommes de terre cuites à la perfection, et la ojja tunisienne, une recette à base d’œufs et de merguez. Vous savez, je suis fils et petit-fils de boucher, et pour moi mon grand-père faisait les meilleures merguez du monde. Ce sont des plats qui me touchent. Le fait d’avoir baigné dans ces différentes cultures, tout en habitant à Paris, a forgé ma personnalité de cuisinier. Je suis un voyageur, et j’ai toujours aimé rencontrer des gens, où que je sois. C’est ce qui nourrit ma créativité.
Quel regard portez-vous sur la gastronomie française et son impact à l’étranger ?
Je pense que la cuisine française est une cuisine incroyable, parce que c’est l’une des rares cuisines pour lesquelles on la chance d’avoir des encyclopédies sur les techniques, des recettes, une histoire. C’est ce qui fait le patrimoine français. Quoi qu’il se passe, la beauté de la gastronomie française sera toujours accueillie avec plaisir dans n’importe quel pays du monde. La cuisine est un échange et ce qui crée des beaux plats. Mais je pense qu’il ne faut pas être arrogant ou méprisant envers les autres cuisines. Il faut savoir s’ouvrir pour cuisiner ensemble.