Joe Biden Président : quel avenir pour la relation transatlantique ?
L’élection de Joe Biden en tant que 46e Président des Etats-Unis d'Amérique laisse entrevoir l’espoir d’un réchauffement des relations américano-européennes, qui ont été grandement mises à mal durant la présidence de Donald Trump. Au sein de l’UE, la victoire de Biden a été saluée quasi unanimement avec une forme de soulagement, notamment par la voix de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Mais bien que ce nouveau chapitre semble annoncer une diplomatie plus constructive, certaines divergences d’intérêt risquent toutefois de perdurer, notamment sur les questions commerciales. Pour les Européens, la doctrine «Buy American» relève du protectionnisme.
PAR PHILIPPE GORTYCH © Shutterstock - Ron Adar

Que ce soit à la télévision ou sur les réseaux sociaux, Donald Trump s’est façonné une réputation d’agitateur en matière de déclarations chocs tout au long de son mandat. Interrogé en 2018 sur CBS, il avait désigné l’UE comme le principal ennemi des États-Unis sur le plan commercial. Il n’est donc pas étonnant qu’en 2020, la Chine soit devenue le premier partenaire commercial de l’UE, détrônant les États-Unis.
Avant l’arrivée de Trump et ses déclarations fracassantes concernant la guerre commerciale transatlantique, l’UE avait déjà dû faire face à une avalanche de déconvenues dans sa relation avec le pays de l’Oncle Sam. Mais cela s’est accentué sous l’impulsion de la devise trumpienne « America First ». Les États-Unis ont alors mené une très importante politique unilatérale de désengagement de plusieurs accords et d’organismes multilatéraux majeurs : on a assisté à un retrait de l’accord de Paris sur le changement climatique, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, de l’Unesco, ou encore au blocage de l’organe d’appel de l’OMC.
RESTAURER UN CLIMAT DE CONFIANCE
Contrairement à son prédécesseur, Joe Biden est un connaisseur des questions internationales grâce à sa grande expérience dans les arcanes de la diplomatie. Au cours de sa brillante carrière, il fut notamment président du Comité des affaires étrangères du Sénat et vice-président sous les deux mandats de Barack Obama. Déterminé à tourner le dos à la doctrine nationale-populiste des années Trump, il est présenté comme un partenaire europhile qui devrait s’employer à sortir les États-Unis de leur isolationnisme actuel.
Au sein de l’UE, la victoire de Biden a été saluée quasi unanimement avec une forme de soulagement. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a fait savoir que l’UE est « prête à intensifier la coopération avec la nouvelle Administration et le nouveau Congrès pour relever les défis urgents auxquels nous sommes confrontés, notamment : la lutte contre la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales, la lutte conjointe contre le changement climatique, la promotion d’une transformation numérique qui profite aux populations, le renforcement de notre sécurité commune, ainsi que la réforme d’un système multilatéral fondé sur des règles ».
Au cours des premiers entretiens qu’il a menés en sa qualité de Président élu, Biden a notamment échangé avec son homologue français Emmanuel Macron à qui il a dit vouloir « redynamiser les relations bilatérales et transatlantiques, notamment à travers l’UE et l’OTAN ». À ce propos, il a d’ores et déjà été annoncé que Biden se rendra à Bruxelles après son entrée en fonctions afin de participer à un sommet de l’OTAN ainsi qu’à un sommet UE - États-Unis. À noter enfin que l’administration Biden suscitera certainement une certaine hostilité dans des pays avec lesquels Trump avait noué des relations privilégiées. Dans ce petit groupe d’États, on trouve la Hongrie, la Pologne, mais aussi la Slovénie pour qui le national-populisme de Trump servait souvent de caution morale. Ce n’est d’ailleurs pas sans raisons que le Président polonais Andrzej Duda aura attendu jusqu’au vote du collège électoral pour féliciter Biden ― après même Vladimir Poutine ―, soit plus d’un mois après l’annonce de son élection dans les médias.
VERS MOINS D’ISOLATIONNISME
La relation transatlantique devrait s’améliorer en premier lieu par un retour progressif des États-Unis au multilatéralisme, qui a été largement bafoué par Trump. La promesse électorale de Biden de réintroduire son pays dans l’accord de Paris sur le climat, auquel l’UE attache une grande importance, en sera un symbole fort, et la nomination du francophile John Kerry au poste de « Monsieur climat » conforte cette perspective. La question est maintenant de savoir si le Président élu maintiendra ce volontarisme sur d’autres dossiers diplomatiques sensibles.
Autre grand chantier important auquel devait s’atteler l’administration Biden : la pacification des relations commerciales avec l’Europe. Celles-ci se ont été considérablement fragilisées sous l’ère Trump en raison de fortes velléités protectionnistes américaines, dont le point d’orgue fut l’épineuse querelle Airbus-Boeing opposant Bruxelles à Washington. Pour rappel, en 2019 de nombreux produits européens ont été frappés de droits de douane supplémentaires, compris entre 10 et 25 %.
Alors, même si une embellie des relations commerciales bilatérales s’annonce possible dans les mois ou années à venir, il faut garder à l’esprit que durant la campagne présidentielle, le candidat démocrate avait tout de même fait part de son intention de renforcer le « Buy American Act », pour les achats par le gouvernement fédéral des biens destinés à l’usage public. Autre exemple de dossier sensible qui pourrait générer des étincelles diplomatiques, le nouveau projet de l’UE de taxe des géants du digital, plus connus sous l’acronyme GAFAM. Enfin, pour tirer le meilleur parti de leurs relations commerciales avec l’Amérique, les Européens devront faire preuve de plus de consensus dans leurs prises de position, et ne pas se laisser entraîner par les États-Unis dans une guerre économique face à la Chine.
NÉCESSAIRES SOLUTIONS GAGNANT-GAGNANT
L’arrivée de Biden promet l’exercice d’une diplomatie plus douce, en rupture avec la gouvernance brouillonne de Trump. Et le choix fait concernant le futur Secrétaire d’État américain est un autre facteur qui semble confirmer cette hypothèse. Biden a en effet décidé de nommer à ce poste hautement stratégique un fidèle, d’Antony Blinken, pilier de la diplomatie démocrate depuis de longues années. Francophone et europhile, Blinken est un expert des relations internationales, qui a notamment été le numéro deux du département d’État sous la présidence d’Obama. Faisant référence à cette époque dans un entretien accordé à France 24 en 2017, Blinken fit savoir que le camp démocrate était alors animé par « la conviction qu’il y avait des solutions gagnant-gagnant, où tout le monde pouvait enregistrer un succès et un progrès », alors que « pour le Président Trump, il n’y a que des questions à somme nulle, où il faut un gagnant et un perdant ».
Même si la stratégie de Biden pour relancer la coopération transatlantique paraît prometteuse, il sera certainement nécessaire de s’armer d’un peu de patience pour pouvoir observer les premiers effets d’un vrai changement, en particulier sur le plan commercial. D’autant plus qu’il faudra tenir compte de l’évolution de la pandémie de Covid-19, qui pourrait potentiellement entraîner un retard du redémarrage des économies de part et d’autre de l’Atlantique.