Data centers : à la recherche de la sobriété énergétique
La révolution numérique coïncide avec l’accroissement rapide du nombre de data centers dans le monde. Souvent montrés du doigt pour leur aspect énergivore, ces derniers cherchent à se racheter une conduite, présentant une image plus verte et axée sur le développement durable.
Par Clément Airault © Shutterstock - Gorodenkoff

Pour beaucoup d’entre nous, le rituel est immuable, dès le réveil : les yeux à demi-fermés, nous consultons notre smartphone. Nous vérifions nos messages, lisons les actualités, faisons un tour sur Facebook, Instagram ou Twitter pour les plus âgés, regardons une ou deux vidéo fun sur TikTok ou Snapchat pour les plus jeunes. La journée ne fait que commencer et déjà notre activité numérique a consommé une grande quantité de données.
Le boom
L’ensemble des informations échangées sur l’internet sont traitées par les data centers (ou centres de données). Nos usages numériques ont connu ces dix dernières années une croissance exponentielle. Les démarches administratives ou bancaires tendent à se dématérialiser. Les achats en ligne explosent, pour le plus grand bonheur de plateformes telles que l’américaine Amazon ou la chinoise Alibaba. Pour commander de la nourriture à emporter, appeler un VTC ou prendre rendez-vous chez le médecin : tout passe aujourd’hui par le smartphone. Les données y afférentes, inquantifiables, doivent être stockées.
Les data centers, devenus indispensables, sont aujourd’hui la colonne vertébrale de ce monde digitalisé. Leur nombre a explosé. Le site datacentermap.com en comptabilise 4 709 répartis dans 126 pays. À eux seuls, les États-Unis en ont 1 797. La France en recense 156, dont le tiers se situe en Île-de-France. Le pays occupe aujourd’hui le 4e rang européen en termes de data centers, derrière la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Pays-Bas. « La France doit devenir la première terre d’accueil de data centers d’Europe», déclarait le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 18 février 2019, alors qu’il inaugurait un nouveau centre à Pantin, aux portes de Paris. La société Equinix, l’un des leaders mondiaux du secteur, y a investi 100 millions d’euros, sur un ancien site de tri postal, portant à 7 le nombre de sites dont elle dispose dans l’Hexagone. Toutes les nations cherchent aujourd’hui à attirer les centres de données numériques sur leur territoire, afin d’être dans « le camp des vainqueurs ». Ces derniers seront, comme le précisait Bruno Le Maire, « ceux qui auront suffisamment d’investissements et de moyens financiers pour avoir leurs propres stockages de données indépendants, souverains » (cf. encadré).
Un gouffre énergétique ?
Au cours des cinq dernières années l’espace de stockage a été multiplié par 16. Les centres de données tournent jour et nuit sans interruption, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’écosystème web. Le secteur du numérique serait responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, dont la moitié serait imputables aux data centers. Ils représenteraient à eux seuls 17 % de l’empreinte carbone de la technologie. D’ici 2040, le stockage de données pourrait atteindre 14 % des émissions totales, soit autant que la consommation actuelle des États-Unis.
D’autre part, le matériel informatique produit énormément de chaleur, et pour le refroidir, des climatiseurs surpuissants doivent être installés. Ils engloutissent 3 % de l’électricité mondiale, chiffre qui pourrait se monter à 20 % en 2025. À titre de comparaison, un seul data center peut facilement consommer autant qu’une ville de taille moyenne. Si le numérique était un pays, il serait le 3e plus gros consommateur d’électricité au monde.
L’arrivée de la 5G dans la plupart des mégapoles et l’explosion des quantités de données stockées en ligne (sur le cloud) ne vont pas dans le sens de la sobriété énergétique, même si les serveurs de dernière génération sont beaucoup moins gourmands que les précédents. La pollution liée à nos usages numériques est invisible, mais leur empreinte écologique ne cesse de croître.
Énergies renouvelables
Si ces chiffres donnent le tournis, ils ne doivent pas occulter les multiples innovations engagées par le secteur. Toutes les grandes entreprises tentent de trouver des solutions pour limiter l’impact environnemental, et surtout dépenser moins en énergie. De nombreux data centers sont construits dans les pays nordiques ― parfois au-delà du cercle polaire ― pour profiter de l’air frais extérieur, de l’eau des lacs ou de la mer. La technique dite du free cooling (refroidissement naturel) est extrêmement efficace pour climatiser les salles des serveurs. Facebook s’est installé en Suède, Google en Finlande, et la société française Bigblock Datacenter, spécialisée dans les cryptomonnaies, a ouvert une « ferme de minage » à Irkoutsk, en Russie, profitant du froid sibérien. L’électricité, à la différence des données, est difficile à stocker, et le minage (procédé de sécurisation des transactions de bitcoins) permet de profiter des heures creuses, ou des zones éloignées, pour récupérer l’énergie fatale, c’est-à-dire celle qui est peu, voire pas valorisée. Les mineurs, comme les data centers, négocient ainsi des tarifs très avantageux auprès des sociétés productrices d’électricité. Par exemple, Bigblock Datacenter a une ferme de minage à proximité d’un barrage à Almaty (Kazakhstan), qui lui permet de bénéficier d’un prix du kilowattheure de 0,026 euro.
Les énergies hydraulique, éolienne et photovoltaïque sont privilégiées par les GAFAM. Amazon a annoncé le 10 décembre le lancement de 26 nouveaux projets de parcs éoliens et solaires, ce qui portera à 127 le nombre de projets initiés dans les énergies renouvelables par l’entreprise américaine. Ces derniers servent notamment à alimenter les centres de données de sa filiale « cloud », Amazon Web Services (AWS). Amazon assure que 100 % de ses activités pourront fonctionner grâce aux énergies vertes d’ici 2025.
Microsoft estime pour sa part que 70 % de ses data centers seront alimentés en énergie verte en 2023. À titre expérimental, le géant de l’informatique a lancé en 2018 le projet Natick, pour tester des centres de données sous-marins. Il a ainsi placé au large de l’Écosse, à 35 m de profondeur, plus de 800 serveurs. Ce data center a été refroidi par l’eau de mer et alimenté en électricité par les courants marins. Après deux ans d’expérimentation, les premiers résultats sont très encourageants, et pourraient préfigurer le futur des data centers.
Les géants du numérique sont aujourd’hui les moteurs de la révolution énergétique.
Un échange de bons procédés
Au lieu de chercher à l’atténuer via des climatiseurs, la chaleur dégagée par les centres de données peut être récupérée et utilisée pour les besoins en chauffage, notamment en zone urbaine. La Suède fait figure de précurseur. Stockholm s’est donné pour objectif de récupérer 10 % de ses besoins en chauffage dans les data centers d’ici 2035. Microsoft a planifié pour 2021 l’ouverture dans ce pays de nouveaux centres de données, qui seront jumelés à la production d’énergie renouvelable du producteur Vattenfall. Ce concept est également employé en France. À Roubaix, la société OVHcloud chauffe ses locaux uniquement via la récupération de chaleur de ses data centers, et à proximité de Paris, le parc d’activités du Val d’Europe alimente son réseau de chauffage urbain grâce à un data center. De plus en plus de centres de données adoptent cette solution, écologique et économique, et non dénuée d’intérêt sur le plan de l’image. Dans le cadre du développement de la ville intelligente (smart city), cet aspect est maintenant largement pris en compte, avant la construction de logements. Si les data centers sont énergivores, il convient de mesurer les économies d’énergie liées à la révolution numérique, encore difficiles à chiffrer.
Le 14 novembre sur France Info, François Képès, chercheur biologiste et membre de l’Académie des technologies, expliquait qu’à ce jour, « les métadonnées sont stockées dans des centres de données, qui couvrent environ un millionième de la surface terrestre, consomment 2 à 4 % de l’électricité dans les pays avancés et représentent des gouffres pour les ressources non renouvelables. Si on continue comme ça, d’ici 2040, ces data centers couvriront un millième du territoire terrestre et consommeront une quantité énorme d’énergie. » L’une des solutions envisagées par l’Académie des technologies pour y remédier serait d’enregistrer les données de l’ensemble de l’humanité sur de l’ADN. Elles tiendraient alors dans un espace de la taille d’un camion. Ce procédé, en cours d’expérimentation, pourrait voir le jour d’ici une dizaine d’années. Les data centers ont donc encore de beaux jours devant eux.