François en Irak : un voyage pour l’exemple ?
Du 5 au 8 mars 2021, le Pape s’est rendu en Irak, pays meurtri par la guerre contre Daesh, pour célébrer la réconciliation des enfants d’Abraham et promouvoir la paix. Quel bilan peut-on tirer de ce voyage ?
Par Dimitri Friedman © AFP

Le Pape, âgé de 84 ans, a-t-il une stratégie religieuse au Moyen-Orient ? On pourrait en douter au regard de son dernier voyage, en Irak, et de sa rencontre à Najaf avec l’Ayatollah chiite Ali Sistani. Non qu’il ne soit pas légitime pour François d’aller au Moyen-Orient, à Ur, sur la terre de naissance du patriarche Abraham, dans ce pays où l’église chaldéenne fut longtemps omniprésente, mais parce que le motif invoqué contraste singulièrement avec l’absence de représentants du peuple juif dans les différents entretiens que le pontife a eus ou cérémonies qu’il a présidées, et ce au grand dam même de certains Irakiens comme Faiq Al Sheikh Ali, membre du Conseil des représentants de l’Irak et secrétaire général du Parti populaire pour la réforme. Alors, quelles sont les raisons de ce déplacement ?
En termes de communication, on peut avancer sans se tromper que ce voyage est une réussite. Le journal La Croix parle même, sans crainte de céder à l’inflation verbale, d’un « voyage pour l’Histoire ». Ces propos dithyrambiques sont d’ailleurs de mise dans tous les médias internationaux d’inspiration catholique. Il faut dire que le programme était largement symbolique, tant par le survol d’un passé cinq fois millénaire que par le rappel d’un présent douloureux : à Mossoul, par exemple, François a célébré le 7 mars une prière en hommage aux victimes de la guerre contre Daesh, qui avait fait de cette ville sa capitale ; à Qaraqosh, ville chrétienne martyrisée et vidée de ses 50 000 habitants, il a prononcé l’angélus; à Erbil, la sunnite, capitale du Kurdistan irakien et l’un des piliers de stabilité dans le pays, il a célébré la plus grande messe de sa visite en Irak.
Et tout au long de ce périple apostolique, le Pape a multiplié les déclarations contre la guerre, pour la tolérance entre les communautés, et notamment en faveur des Yazidis décimés par la guerre. « Je ne peux pas ne pas rappeler les Yazidis, victimes innocentes de barbaries insensées et inhumaines, persécutés en raison de leur appartenance religieuse, dont l’identité même et la survie ont été menacées», a-t-il dit à propos de cette communauté. Le chef des enquêteurs de l’ONU et procureur général de la CPI, le britannique Karim Khan, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en déclarant que des poursuites pour génocide s’imposaient et que la visite papale délivrait « un message d’union, de paix et de coexistence ».
Selon de nombreux observateurs, la rencontre entre le Pape et l’Ayatollah Ali Sistani est de nature à créer un environnement favorable pour l’ouverture des chiites irakiens et iraniens vers les chrétiens. Ces observateurs faisaient la même analyse concernant la visite de François à la grande mosquée Al-Azhar du Caire, au cours de son déplacement en Égypte en avril 2017. Mais, même si le nombre n’est pas un critère fondamental, il y a une différence entre la tolérance sunnite en Égypte, qui compte 7,5 millions de coptes bien ancrés dans tous les secteurs de la société, et l’intolérance envers les chrétiens d’Irak, communauté qui a fondu et est passée de 1,5 million de fidèles avant les hostilités à moins de 150 000 aujourd’hui ! Et rien n’indique que le voyage papal arrêtera l’exode.
Une stratégie politique
À propos de son entrevue avec le grand Ayatollah Ali Sistani, le Pape a déclaré que ce tête-à-tête lui avait fait « du bien à l’âme ». Et de souligner qu’alors que l’Ayatollah ne se lève jamais pour saluer un visiteur, pour lui, il s’est levé deux fois. Cette réflexion suggère peut-être l’humilité de l’évêque de Rome, qui s’est senti honoré par ce geste, non uniquement en raison de la vertu chrétienne que cela sous-tend, mais parce que l’on espère, au Vatican, sauver ce qui peut encore l’être des communautés chrétiennes.
En effet, ce voyage délimite avant tout le champ des possibles du dialogue avec l’islam chiite. Il y a plusieurs manières de dialoguer avec la religion musulmane. La manière religieuse implique la notion de divinité, le rôle de la prière, les différences de conception dans le rapport à Dieu entre la chrétienté et l’islam, et la visibilité de la religion dans un État moderne et laïque ― mais de tout cela il n’a pas été question lors de cette visite papale. La manière politique, c’est-à-dire la question des libertés, de la fraternité, de la citoyenneté, de l’égalité entre les différentes communautés, a au contraire été au centre de la visite et des différents entretiens avec l’Ayatollah, plus d’ailleurs qu’avec le Premier ministre Mustafa al-Kadhimi. Car le dialogue avec l’islam, et les visites papales en terre d’Orient, s’ils ne sont pas légion, ne sont pas non plus l’exception. Sauf en Irak, où c’est la première fois qu’un souverain pontife se rend. Même Jean-Paul II, pourtant grand voyageur, n’a jamais pu réaliser ce rêve. En effet, François est allé au cœur de la ligne de fracture entre le monde sunnite et le monde chiite, une ligne quasi volcanique, avec une bonne raison en tête, celle d’affirmer que la chrétienté, à la différence des chefs des pays occidentaux, ne choisit pas entre les différents courants de l’islam.
Le choix d’Ali Sistani comme interlocuteur n’est donc pas fortuit. Les chiites et les sunnites sont, au regard du Pape, sur un pied d’égalité. Ali Sistani n’est pas non plus un Ayatollah ordinaire. Il est iranien, mais installé dans la ville sainte irakienne de Najaf ; il est populaire en Irak et en Iran, mais se différencie du nationalisme radical iranien de l’Ayatollah Khamenei, et il n’approuve pas l’emprise des Gardiens de la Révolution islamique sur la société en Iran. Il y a donc dans cette rencontre une manière de renouer un dialogue avec l’Iran et son peuple, dialogue mis à mal par la rupture de l’accord nucléaire, et cela sans en passer par les autorités islamiques de ce pays.
Ne rêvons pas, ce ne sera pas la paix entre toutes les tendances de l’islam, ni même au sein des différents courants chiites et sunnites. Ce ne sera pas non plus le renouveau de la communauté chrétienne d’Irak, sur le déclin, ni la fin du conflit au Moyen-Orient, en dépit de la signature des accords d’Abraham, autrement productifs en termes économiques et de sécurité, même si François a pris le soin, pour montrer qu’il garde le peuple juif en son cœur, d’adresser un message de vœux chaleureux à son cher ami, le Président Reuven Rivlin, en survolant Israël sur la route de Bagdad à l’aller.