Made in France : Renouveau ou poudre aux yeux ?
Ces dernières années, et notamment depuis le début de la crise sanitaire, la fabrication française connaît une nouvelle dynamique, du fait d’un regain d’intérêt des consommateurs. Au-delà de l’aspect marketing, il convient de comprendre les réalités d’une relocalisation que beaucoup jugent utopique.
Par Clément Airault © AFP - VERONIQUE POPINET

Aujourd’hui, selon le ministère de l’Économie, un Français sur quatre est prêt à payer plus cher un produit parce qu’il est français. La crise de la Covid-19 a entraîné une prise de conscience par la population de la fragilité du tissu économique national. Selon l’Insee, en 2015 le made in France représentait 81 % de la consommation totale des ménages, mais 36 % seulement de celle de biens manufacturés. Énergie, santé et médecine, high-tech : l’Hexagone est dépendant de ses importations.
Sentiment national
Un sondage IFOP réalisé en août 2018 assurait que 74 % de nos concitoyens étaient prêts à payer plus cher pour acheter français, 93 % d’entre eux estimaient qu’acheter français permettait de soutenir les entreprises nationales, et 86 % considéraient que cela offrait la garantie d’obtenir un produit élaboré selon des normes sociales respectueuses des salariés. Le sentiment national existe bel et bien et s’est renforcé au cours de l’année 2020. Une forme de solidarité à l’égard des entreprises françaises s’est instaurée. Il y a un an, les difficultés d’approvisionnement (notamment en provenance de Chine) n’ont fait qu’accroître l’appétence pour les produits nationaux, laissant entrevoir un avenir radieux pour la relocalisation en France. Selon un sondage Odoxa d’avril 2020, 92 % de la population était satisfaite des relocalisations industrielles, promesses d’un retour de la souveraineté économique mais aussi de revitalisation de territoires abandonnés.
Les premiers exemples concernèrent la fabrication de gel hydroalcoolique et de masques (dont l’arrêt de la confection sur le sol français avait fait grand bruit). Depuis décembre 2020, selon la Ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, la France peut produire 100 millions de masques sanitaires (chirurgicaux et FFP2) par semaine et n’est ainsi plus dépendante de la Chine. Mais les masques sont une exception. L’usine-Chine a repris sa marche, inondant le marché de produits à bas coût. Les consommateurs ont tendance à choisir la quantité plutôt que la qualité. Mais cela a-t-il pour autant affaibli les espoirs des partisans du made in France ?
Produire sur le territoire
« La France de 2030 devra être plus indépendante, plus compétitive, plus attractive. Il s’agit de ne plus dépendre des autres pour les biens essentiels, de ne plus risquer des ruptures d’approvisionnements critiques. Il s’agit de produire et de créer des emplois en France », écrivait le Président de la République, dans la présentation du plan de relance, en septembre dernier. Il a d’abord fallu parer à l’urgence. Fonds de solidarité, recours à l’activité partielle, prêts garantis par l’État, reports de charges sociales : l’État a mis en place dès le début de la crise sanitaire des mesures destinées à sauvegarder emplois et entreprises. « La stratégie a été claire, comme dans les autres pays : protéger l’appareil productif, en se disant qu’en sortie de crise, les entreprises pourront rebondir, protéger les ménages, tout en gardant en tête que ça serait temporaire », déclarait Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la Direction générale du Trésor, le 15 mars sur France Culture.
Produire en France : le monde politique n’a pas attendu la crise sanitaire pour s’emparer du sujet. Arnaud Montebourg avait fait du made in France son cheval de bataille. En 2012, celui qui était alors Ministre socialiste de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique posait en marinière Armor Lux à la une du supplément week-end du Parisien. Après son échec à la primaire citoyenne de 2017, il s’est retiré de la politique et a créé son entreprise de production de miel, « Bleu Blanc Ruche », rencontrant un succès mitigé... La relocalisation et le retour des capacités industrielles françaises n’est possible qu’avec l’accompagnement de mécanismes et de dispositifs d’incitation. C’est tout l’objectif du plan France Relance, présenté le 3 septembre 2020 par le Premier ministre Jean Castex. Ce plan constitue la « feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays » à horizon 2030. Il doit « permettre à la France, comme à l’Europe, de confirmer sa robustesse et son attractivité internationale ».
Afin de redresser l’économie nationale, 100 milliards d’euros sur deux ans ont été débloqués. Parmi les grands axes de ce plan, des fonds de relocalisation ont été alloués dans cinq secteurs stratégiques : santé, agroalimentaire, électronique, matières premières essentielles à l’industrie, et applications industrielles de la 5G. Ces trois dernières années, l’industrie française a recréé des emplois sur le territoire, selon France industrie. Le secteur représentait 3,1 millions d’emplois directs et pesait 12,3 % du PIB avant la crise sanitaire. Les mesures gouvernementales devraient permettre de booster les relocalisations (ou tout au moins d’éviter les délocalisations).
Juste après le confinement, Emmanuel Macron avait promis la relocalisation des industries stratégiques. Il lui fallait répondre aux Français qui découvraient que leur pays ne savait plus produire le matériel médical le plus basique. Des vulnérabilités sont apparues pendant la crise sanitaire en matière d’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux. Pour y pallier, Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé, et Agnès Pannier-Runacher ont présenté, le 18 juin, un plan d’action pour la relocalisation en France de projets de recherche et de sites de production de produits de santé. À titre d’exemple, l’ensemble de la chaîne de production de paracétamol doit être rapatriée d’ici 2023.
Un appel à projets avait été lancé pour développer des solutions thérapeutiques préventives ou curatives contre la Covid-19. Le gouvernement souhaitait financer des essais cliniques (jusqu’à 50 millions d’euros par projet) sur le sol français. On le sait aujourd’hui, bien que la France possède des fleurons en termes de recherche médicale avec le laboratoire Sanofi et l’Institut Pasteur, elle n’a pas été capable de produire son propre vaccin. C’est un échec tonitruant, largement commenté dans la classe politique. « C’est le signe d’un déclassement du pays, et ce déclassement-là est inacceptable », s’est insurgé fin janvier François Bayrou, haut-commissaire au Plan et soutien d’Emmanuel Macron.
Le choix des entreprises
Les premières aides à la relocalisation ont eu un grand succès, prenant de court les autorités. En octobre, le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire assurait que le gouvernement avait reçu 3 600 demandes de financement d’une ligne de production en France, en dépit de la complexité de la démarche critiquée par les organisations patronales. Vu le niveau de la demande, l’État va sans doute augmenter les fonds dédiés et « rapatrier une partie des crédits de 2021 sur 2020 », précisait Bruno Le Maire. Un milliard d’euros avait été alloué, dont la moitié devait être dépensée en 2020. Dans un premier temps, le fonds de soutien aux projets des 148 « Territoires d’industrie », doté de 400 millions d’euros d’ici à 2022, n’a pas eu pour vocation de relocaliser, mais plutôt de pérenniser la production en France. L’enjeu, en termes d’emplois, est immense. Dans un communiqué publié début septembre, la Ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, et la Ministre Agnès Pannier-Runacher jugeaient que « pour un emploi industriel créé, ce sont […] quatre à cinq emplois induits dans d’autres secteurs ».
La Covid-19 a mis en lumière de grandes problématiques de fond. Certaines PME, qui avaient déjà une partie de leur production dans l’Hexagone, entendent augmenter leur rendement sur le territoire. En simplifiant la chaîne d’approvisionnement, elles souhaitent éviter d’être limitées dans leur fabrication. Le grand public s’est rendu compte de l’intérêt d’avoir une industrie locale, capable de s’adapter rapidement à la demande. De nombreuses sociétés ont fait le choix de produire en France, notamment dans le domaine des biotechnologies. C’est le cas d’In’tech Medical, installé dans le nord, qui est devenu en 20 ans le numéro 3 mondial des instruments de chirurgie orthopédique, ou de Biotech Dental, l’un des leaders du secteur des soins dentaires.
Un intérêt durable
Fabriquer en France coûte souvent plus cher. Mais aujourd’hui, beaucoup de clients sont prêts à mettre le prix, pourvu qu’ils soient certains que leur achat crée des emplois sur le territoire. La région des Mauges, dans le Maine-et-Loire, possède une tradition historique dans le tissage et la maroquinerie. Avec les délocalisations, la fabrication locale était tombée en désuétude. Elle renaît progressivement de ses cendres. Des marques haut de gamme, à l’image du chausseur Jacques & Déméter, font appel au savoir-faire des entreprises des Mauges. D’autres marques connaissent un renouveau, comme les Méduses®, ces sandales en plastique qu’affectionnent les enfants, et qui sont aujourd’hui fabriquées dans l’Hexagone par la marque Umo (de la société Humeau-Beaupréau).
La fabrication française n’est donc pas uniquement réservée au grand standing, et elle conquiert de nouveaux secteurs. Récemment, les usines de vélos français ont redémarré, avec l’engouement de ces dernières années pour le deux-roues. Plusieurs marques hexagonales ont fait le choix du made in France, comme Mercier, qui a annoncé son arrivée dans les Ardennes, ou l’usine de la Manufacture française du cycle, située à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique). La fabrication française est devenue un argument marketing. Et elle est aussi un argument environnemental.
La transition écologique est l’un des trois grands axes du plan de relance économique. La relocalisation y prend tout son sens. Dans un communiqué publié le 28 janvier, l’Union des industries textiles (UIT) estimait que la désindustrialisation avait contribué à faire chuter les émissions de gaz à effet de serre de 20 % entre 2005 et 2015. Mais « qu’en est-il de tout ce qui n’est pas produit en France mais y est bien consommé ? ». Selon l’étude du cabinet Cycleco intitulée « Empreinte carbone du textile en France », fabriquer en France permet de diviser par deux notre empreinte carbone par rapport à une fabrication en Chine. D’autre part, relocaliser permettrait de produire moins en générant moins d’invendus grâce au circuit court et à une production à la demande. À titre informatif, chaque Français consomme chaque année environ 8 kg de textile, dont 97 % est fabriqué hors du pays. L’UIT estime qu’en relocalisant 25 % de la production, cela réduirait l’empreinte carbone de la France de 3,5 millions de tonnes.
Beaucoup d’observateurs, aujourd’hui encore, jugent la relocalisation utopique. Si elle ne l’est pas forcément, elle soulève quand même de nombreux problèmes. Relocaliser coûte cher, et prend du temps. Sans soutien des pouvoirs publics, rien n’est envisageable. Par ailleurs, toutes les productions ne sont pas relocalisables : il semble hautement improbable que la France se lance dans la fabrication de composants électroniques. La fabrication chinoise a encore de beaux jours devant elle.